Une famille décimée par la contagion, Gastines-sur-Erve, 1639

Sur l’acte de mariage de l’une de mes ancêtres, Marie COULDRAY, mariée en 1628 à Sébastien BIGNON dans la paroisse d’Ecouflant, il est écrit qu’elle est « fille de défunt Etienne COUDRE et de Jehanne FROUMOND, paroissiens de la paroisse de Gastinne de l’Esvesché du Mans« . Jusqu’à présent, j’avais laissé de côté cette information, ignorant de quelle « Gastinne » il s’agissait exactement.

Ayant découvert tout récemment qu’il s’agissait de Gastines-sur-Erve, village situé près de Sablé dans la Sarthe, je me suis bien vite rendue dans les registres de cette paroisse qui commencent dans les années 1612. Etienne COULDRAY et Jeanne FOURMONT y ont effectivement laissé quelques traces : ils y ont eu un enfant en 1617, puis, Etienne y est mort, le 16 décembre 1619.

Poursuivant encore quelques années mes investigations, j’y ai découvert aussi l’acte de décès de Jeanne FOURMONT, le mardi 3 août 1638. Mais c’est de tout autre chose que je voulais aujourd’hui vous entretenir. Sur la page du registre où se trouve l’acte de décès de mon ancêtre, j’ai fait de tristes découvertes.

La Havardière, métairie de Gâtines où eu lieu le drame.

Tout commence le lundi 7 novembre 1639. Partout ailleurs en Anjou, la contagion est là. Pierre BOURGALAY, le métayer de La Havardière succombe à ce terrible fléau. De macabres détails émaillent son acte de sépulture.

Le lundy septiesme de novembre mil six cent trente et neuf mourut Pierre BOURGALAY metaier de La Havardière et estoit frappé de contagion, il avoit un charbon à défault de l’espaule et la contagion soubz l’essaille, il fut enterré au cimetiere de Gastines par sa pauvre femme et par son frère, la nuict sur les dix heures du soir.

Les détails sont atroces. Leur précision semble évoquer les bubons de la peste noire. Le prêtre semble très affecté et s’autorise quelques sentiments de compassion, rares dans les registres, pour la femme de ce malheureux métayer. Quelques actes plus tard, on comprend encore mieux les raisons de sa pitié…

Le pauvre homme est enterré de nuit. Pas de veillée funèbre ! Pas de cortège ! Deux semaines plus tard, son fils le suit dans la mort. Il est enterré dans le jardin de la métairie. (Voir un enterrement similaire ici.)

Le mardy vingt et uniesme jour an et moys que dessus ensuitte dudit BOURGALAY fut enterré Pierre filz décédé de la mesme maladye et fut mins au jardin de La Havardière leur demeure.

Le lendemain, c’est au tour du plus jeune fils qui, tout comme son frère, est enterré dans le jardin, interdit de cimetière !

Le mercredy vingt et deuxiesme dudit moys et an que dessus fut encore enterré audit jardin Jacques, fils dudit BOURGALAY, âgé de deux ans deux moys.

Suivi du frère de Pierre BOURGALAY, celui-là même qui avait aidé sa belle-sœur à l’enterrer. Il meurt le jour de la Saint Catherine, soit le 25 novembre.

Le jour et feste Sainte Catherine fut aussy enterré Adam frère dudit BOURGALAY au pré dudit lieu et de la mesme maladye.

La sœur de Pierre BOURGALAY, Martine BOURGALAY, meurt à son tour. Elle est inhumée le 26 novembre 1639. Elle non plus n’est pas enterrée au cimetière.

Le samedy vingt et sixiesme jour dudit moys de novembre et an que dessus fut enterré Martine BOURGALAY seur dudit Pierre BOURGALAY et la fosse est au petit cloteau de la Petite Garanne et de la mesme maladye.

Mais le pire reste à venir. La femme de Pierre BOURGALAY est terrassée à son tour par la terrible maladie. Et l’on comprend l’émotion du prêtre : cette femme était enceinte…

Le premier jour de décembre 1639 mourut Jehanne GODEBERT femme de deffunct Pierre BOURGALAY metaier de La Havardière. Ladite GODEBERT est aussy morte de la contagion. Elle estoit grosse de cinq moys et demy. Elle accoucha un quart d’heure devant la mort. L’enfant fut baptisé par les corbeaux qui y estoient. La fosse fut faicte au cimetiere dudit Gastines mays la sepulture fut [?] parce qu’ilz [?] contre la volonté du sieur curé.

Je n’ai pas bien compris la fin mais il semble que la pauvre femme n’ai pas trouvé le repos facilement. Les corbeaux étaient nommés ainsi parce qu’ils portaient de curieux masques en forme de becs d’oiseaux.


Notes, Sources et liens

Archives en ligne de la Sarthe, Gastines-sur-Erve – BMS 1586-1673, vue 66-67/78.

Au sujet de la contagion de 1639 en Anjou, François Lebrun écrit : « …la peste reparaît en juillet 1639, à Angers et un peu partout dans la province. Cette nouvelle manifestation, considérée désormais par les Angevins comme une fatalité liée au retour de la belle saison, n’est ni plus ni moins meurtrières que celle des années précédentes. Mais dans les premiers jours d’octobre, une terrible épidémie de dysenterie frappe de nombreuses paroisses de l’Anjou, avec une simultanéité et une brutalité étonnantes. » (Les Hommes et la Mort en Anjou au XVIIe et XVIIIe siècles, p.227).

Vignette – Recueil de prose et de vers concernant Alexandre, Annibal et Scipion, Hector et Achille, Dagobert, Clovis II et Charles VIII, Philippe le Beau, roi d’Espagne, les comtes de Dammartin. (GallicaBnF)

4 réflexions sur “Une famille décimée par la contagion, Gastines-sur-Erve, 1639

  1. J ai fait les mêmes constatations sur le registre de brissarthe . 13 décès de janvier à août 1639 , 13 en septembre , 52 en octobre et encore 26 en novembre. Le calme revient peu à peu ensuite . L épidémie fait des ravages dans les familles. Il y a beaucoup de décès de jeunes enfants.

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  2. La détresse d’un père…
    La peste sévit à Seiches S/Loir en cette année 1626.
    Thomas Duvau ?,de ?,réfugié à Seiches et non estant paroissien a enterré un de ses enfants par violence ,dans le petit cimetière de Seiches,lequel enfant estoit mort de maladie contagieuse,ledit Thomas du Vau fut comdamné par le juge de Baugé à l’amande pour avoir enterré son enfant en un lieu où il ne plaisait à M le Curé.
    Seiches S Loir -16o4-1665 (vue 43)

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