Corps et coeurs séparés

Inhumations très particulières à Echemiré

Le 5 novembre 1619 René CHARDON, fils de Claude CHARDON et de Thomasse FLOCEAU, se marie à Echemiré avec Jacquine GUIGNON, fille de Jean GUIGNON et de Jacquine LE MONNIER, en présence de « haulte et puyssante dame Françoyse de MONTMORENCY, femme de messire François de BROC, chevalier de l’ordre du roy, gentilhomme ordinaire de sa chambre ». (René CHARDON et Jacquine GUIGNON sont mes ancêtres à la 14 ème génération.)

deMONTMORANCY Françoise - 1619 - Echemiré
Signature de Françoise de MONTMORENCY apposée au bas de l’acte de mariage de René CHARDON avec Jacquine GUIGNON, le 5 novembre 1619 à Echemiré – (AD49 – Echemiré – BMS -1578-1621, vue 76/95)

Le 6 décembre 1641, meurt Françoise de MONTMORENCY dans sa maison seigneurialle sise à Broc, paroisse se situant à une trentaine de kilomètres d’Echemiré. C’est pourtant dans les registres d’Echemiré que j’ai découvert son acte de sépulture, qui stipule que son coeur, séparé de son corps, fut enterré à Echemiré, tandis que son corps le fut à Broc, selon les désirs de son époux, François de BROC, à la fois seigneur de Broc et d’Echemiré.

On peut lire ainsi dans les registres d’Echemiré :

MONTMORANCY Françoise - S - 6-12-1641-Echemiré (vue 111-126)
Inhumation du coeur de Françoise de MONTMORENCY dans l’église d’Echemiré, le 6 (ou 7) décembre 1641 – (AD49-Echemiré – MS – 1622-1667 – vue 111/126)

Le sisiesme jour de decembre mil six cent quarante et un, jour et feste de Monsieur Saint Nicolas, sur les deux heures du matin, deceda haulte et puissante dame Françoise de MONMORANSY, en son vivant famme de hault et puissant seigneur François de BROC chevalier de l’ordre, seigneur dudit Broc et d’Eschemiré. Le corps d’icelle fut inhumé et ansepulturé dans l’eglise dudit Broc proche du grand autel, et son cœur en l’eglise dudit Eschemiré aussi proche le grand autel avec seremonie et procession solennelle. (AD49-Echemiré – MS – 1622-1667 – vue 111/126)

 Et un peu plus loin :

Le vingt et uniesme jour du mois et an que dessus le service du quarantain de defuncte Madame si dessus desnommee a esté faict dans l’eglise d’Eschemiré avec solennité accoutumee estre faicte pour les defunctz et y ont assisté plusieurs curés et prestres jusques au nombre de vingt et sept avec la noblesse et presques tous les habitans de la ditte paroisse avec un tres beau luminaire.

Les registres de Broc nous apportent d’autres précisions :

Le sixieme jour de décembre mil six cent quarente et un a esté faicte par moy curé du Broc assisté de mes chappellains, la sepulture de deffuncte haulte et puissante dame Françoise de MONTMORENCY vivante espouse de hault et puissant Seigneur messire François de BROC chevalier de l’ordre du Roy, seigneur fondateur dudit Broc et d’Eschemiré, laquelle deceda sur une heure après la minuit de decembre cinq et ledit sixiesme jour son corps a esté ensepulturé au lieu et place des dits seigneurs et ay porté le septiesme jour lendemain dudit mois son cœur en l’eglise d’Eschemiré par la priere et requeste dudit seigneur de Broc son espoux, faict ledit jour et an que dessus. [AD49Broc – BMS – 1620-1675 – vue 124/424]

Inhumation de François de BROC

Quelques années plus tard, le 23 février 1646, François de BROC meurt à son tour. Son coeur et son corps sont également séparés et enterrés en deux lieux différents.

On lit ainsi sur les registres d’Echemiré :

de BROC François - S - 1646-Echemiré
Inhumation du coeur de François de BROC dans l’église d’Echemiré, le 23 février 1646 – (AD49-Echemiré – MS – 1622-1667 – vue 114/126)

Le vingt et troisiesme jour dudit mois de febvrier audit an mil six cent quarante et six déceda hault et puissant seigneur messire François de BROC en son vivant chevalier de l’ordre, seigneur du dit Broc et d’Eschemiré, et ce sur les neuf heures du matin. Son corps fut enterré en l’eglise dudit Broc et le cœur en l’eglise dudit Eschemiré, le tout proche les grandz autelz.

Et sur ceux de Broc :

Le vingt troisiesme jour de febvrier mil six cent quarente et six est decedé en sa maison seigneuriale d’Eschemiré hault et puissant seigneur Messire François de Broc, vivant chevallie de l’ordre, escuier, seigneur fondateur de l’eglise de Broc et dudit Eschemiré, le cœur duquel a esté enchaissé et enterré en l’eglise dudit Eschemiré avec le cœur de deffuncte haulte et puissante Dame Françoise de MONTMORANCY vivante espouse dudit seigneur de Broc, vivant veuf de ladite deffuncte Dame Françoise de MONTMORANCY, le corps duquel deffunct seigenur de Broc a esté inhumé et enterré dans le cœur de ladite eglise dudit Broc proche le corps de la dite deffunte de MONTMORANCY, par moy curé du dict Broc soubz signé, le lendemain vingt quatriesme jour au dict mois de febvrier et dit an, faict les dictz jour et an que dessus. » (AD49- Broc – BMS – 1620-1675 – vue 133/424)

Ainsi, leurs coeurs d’un côté, leurs corps de l’autre, les époux reposent ensemble…

Inhumation de Michel de BROC

Ils sont bientôt rejoints par leur fils – ou plutôt le coeur de leur fils – Michel de BROC, qui meurt peu après, le 8 septembre 1647. Son corps est inhumé à l’Abbaye de Moreilles, mais son coeur est apporté à Echemiré, via la paroisse du Vieil-Baugé, pour y être enseveli avec celui de ses parents.

Le huitiesme jour de septembre an susdit deceda Messire Michel de BROC en son vivant chevallier, seigneur baron d’Eschemiré, et son corps a esté ensepulturé en l’Aabbaie de Maureille, paroisse de [blanc], diocèse de Luçon, et le cœur d’iceluy a esté apporté du lieu de son déces par Monsieur le prieur de Verne et assistant dans l’eglise du Vieil Baugé, par Monsieur le curé dudit Vieil Baugé avec ceremonies, et avons party processionnellement de ceste eglise d’Eschemiré et sommes alles jusques audit lieu du Viel Baugé pour recepvoir ledit cœur et a esté amené et conduit avec notre procession de celle dudit Vieil Baugé jusque en ceste eglise et ce le vingt septiesme dudit mois cy dessus, et le vingt neufiesme ledit cœur dudit deffunct a esté ensepulturé avec les cœurs de deffunctz ses père et mere, et ladite sepulture a esté faicte par ledit sieur curé dudit Vieil Baugé et de beaucoup de prestres et de quantité d’assistans. (AD49 – Echemiré – MS – 1622-1667 – vue 115/126)

Armes de la maison de BROC

 La partition du corps

Il semble que l’usage de la partition du corps et des sépultures multiples, qui fut l’apanage des rois et des reines de France, trouve son origine dans ce qu’on appelle le Mos Teutonicus (littéralement « usage teuton »). Cette technique, « inventée » au cours de la Deuxième Croisade, consistait à pratiquer une excarnation (séparation des os de la chair du cadavre) afin de rapatrier de façon hygiénique les corps des grands seigneurs morts loin de leurs patrie et ne voulant en aucune manière être enterrés en Terre Infidèle.

A partir du XIIIème siècle la dilaceratio corporis (« division du corps » en cœur, entrailles et ossements) devient un privilège de la dynastie capétienne. Cette coutume permet la multiplication des cérémonies et des lieux (tombeau du corps, tombeau du coeur et tombeau des entrailles).

Interdit par une bulle pontificale de Boniface VIII en 1300, le Mos Teutonicus continue malgré tout à être pratiqué, au début en vertu de bulles d’exemption accordées aux grands de ce monde, par la suite sans apparemment d’accord préalable, comme il semble que cela soit le cas pour la famille de BROC, mais toujours pour de nobles personnages, comme le montre les quelques actes similaires recensés sur le site Geneactinsolites.

 Françoise de MONTMORENCY, « la Belle Fosseuse »

Francois_Quesnel_-_La_Belle_Fosseuse

En cherchant des informations sur internet sur la famille de BROC, j’ai découvert avec étonnement (mais peut-être n’est-ce pas le cas pour vous…) que Françoise de MONTMORANCY était en réalité très connue pour avoir été l’une des nombreuses maîtresses du futur roi Henri IV, encore appelé Henri III de Navarre !

Née en 1566, de Pierre de MONTMORANCY-FOSSEUX (d’où son surnom) et de Jacqueline d’AVAUGOUR, elle devint en effet, en 1579, alors qu’elle n’avait que 13 ans, dame de compagnie de la Reine Margot. Séduite par le roi, elle devint sa maîtresse et accoucha, semble-t-il, en 1581, d’une fille mort-née.

L’année suivante, la Reine, jalouse, la renvoya chez ses parents. Le roi Henri, peut-être un tantinet furieux, ne la retint cependant pas et prit bien vite une nouvelle favorite, Diane d’Andoins, surnommée la « Belle Corisandre ». Cette jolie Diane rencontra très certainement le poète Agrippa d’Aubigné, présent à la cour à cette époque ; ce qui me permet de terminer cet article par ces quelques vers,  écho parfait de mes macabres histoires de corps et de coeurs séparés… mais ici magnifiées de façon magistrale !

J’ouvre mon estommac, une tumbe sanglante
De maux enseveliz : pour Dieu, tourne tes yeux,
Diane, et voy au fond mon cœur party en deux,
Et mes poumons gravez d’une ardeur viollente,

Voy mon sang escumeux tout noircy par la flamme,
Mes os secz de langueurs en pitoiable point
Mais considere aussi ce que tu ne vois point,
Le reste des malheurs qui sacagent mon âme.

Théodore Agrippa d’Aubigné, Stances.


Sources, Notes et Liens

  • Mos Teutonicaus, Wikipedia. (Lire en ligne)
  • Le coeur et le corps séparés, Geneactinsolites. (Lire en ligne)
  • Alexandre Bande, Le cœur du roi. Les Capétiens et les sépultures multiples, XIIIe-XVe siècles, Paris, Tallandier, 2009.
  • Françoise de Montmorancy-Fosseux, Wikipedia. (Lire en ligne)
  • Notice historique et généalogique sur la maison de Broc, composée d’après les titres originaux et les preuves de cette maison, pour les honneurs de la Cour, Gallica, 1879. (Lire en ligne)
  • Archives généalogiques et historiques de la Noblesse de France ou Receuil de Preuves, Mémoires et Notices généalogiques…, Publiées par M. Lainé, Tome 4, Paris, 1834, Googlebooks. (Lire en ligne)
  • Illustration d’en-tête : Reliquaire d’Anne de Bretagne, écrin en or contenant son coeur, musée Dobrée, Nantes. (Source Wikipedia)

15 réflexions sur “Corps et coeurs séparés

  1. Passionnant votre article. J’ai eu l’occasion d’admirer le « reliquaire » du coeur (ou « cardiotaphe ») d’Anne de Bretagne, lors d’une de ses rares expositions. Malheureusement il est vide, semble-t-il depuis au moins 1727. En effet, le maire de Nantes, Jean Mellier, avait ordonné quelques recherches. Le coeur devait s’être désagrégé. Ce reliquaire faillit disparaître au moment de la révolution mais par chance existe toujours au Musée Dobrée de Nantes. Il est prêté rarement et sous bonne escorte… Les corps d’Anne de Bretagne et de son dernier mari, Louis XII furent profanés durant la révolution et jetés dans une fosse commune. Par contre, à St-Denis, on peut toujours admirer leur splendide tombeau. Il semble que la marque de « l’opération d’éviscération » soit fidèlement reproduite par le sculpteur sur ce qu’on appelle « les transis ». J’ai admiré le tombeau globalement sans pouvoir en apprécier tous les détails. Par ailleurs, sur le reliquaire figurent des inscriptions relatives à notre deux fois reine de France.
    (voir Wikipedia qui en dit bien plus !)

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